lundi 29 août 2016

Faire un dossier BD - DIY - Août (1)

Bonjour à tous! 


[WARNING] Je vais parler ici de mon expérience, de mes pratiques, et de mes méthodes. Ce n'est en aucun cas une règle générale, ni la forme admise de ce qui doit être fait, ni encore un cahier des charges universel. C'est ce que je fais, ça marche pour moi, et la vocation est tout au plus d'inspirer/conseiller, pas de faire loi. Faites comme vous voulez, suivez votre instinct, c'est souvent une bonne idée. 


Suivre son instinct: 
illustration à vie dans mon cerveau


Hier j'avais une discussion avec une copine qui me demandais l'adresse mail d'un éditeur pour soumettre un storyboard de BD. Outre le fait que l'éditeur réclamé ne fait PAS de BD (renseignez-vous avant envoi, les sites web des différentes maisons d'éditions disent assez clairement ce qu'elles veulent, et ceci est valable pour votre roman/nouvelle/novella/BD/pièce de théâtre), envoyer un storyboard tout seul, ce n'est pas exactement une bonne idée. 

Pourquoi? 

Eh bien d'abord parce que le propre du storyboard est de ne pas présenter de dessin finalisé, ce qui ne va certes pas aider l'éditeur à visualiser votre haut-potentiel. Ensuite, pour savoir de quoi ça cause, l'éditeur va donc être obligé de lire le storyboard et c'est une lecture tronquée. En BD, une partie de l'histoire passe dans les dessins. Quand ceux-ci sont juste effleurés, les dialogues ne peuvent suffire à narrer les aventures de votre héros. Pire: s'ils suffisent, c'est que le dessin ne va servir à rien: le fragile équilibre de la BD est alors rompu. Un storyboard, c'est un outil de travail, pas un outil de présentation. C'est avec ça qu'on construit une BD: pas qu'on la vend. 




Ceci est une très jolie comète. 
Vous pouvez y dessiner des plans, mais si vous tentez d'y vendre une maison, 
il est probable que vous trouviez peu d'acheteurs... 



Mes outils de travail et ceux du dessinateur - ce que je ne montre PAS à l'éditeur. 

Donc, dans un premier temps, brossons le panel des outils de travail dont je dispose et que je mets à la disposition du dessinateur pour préparer un projet, ainsi que ses outils à lui aussi. Ce sont des outils de communication entre moi et le dessinateur avec lequel on travaille: ils n'ont pas vocation à être vu/lu par d'autres gens, sauf peut-être par le coloriste, le cas échéant, ou après signature, si l'éditeur veut des modifs. Je vais parler par ordre de travail, c'est à dire ce que je commence par faire, jusqu'à ce que le projet soit prêt à la présentation. Je pars du principe que je suis déjà en collaboration avec un dessinateur, c'est à dire qu'on s'est mis d'accord sur un projet donné que je lui ai sommairement présenté. La liste suivante présente donc les étapes l'une après l'autre. 

  • Le dossier du monde - scénariste
Quand on travaille comme moi avec des mondes imaginaires, il ne faut pas oublier que le dessinateur n'est pas dans votre tête. La première chose que je fais donc pour entamer une collaboration quand j'ai trouvé le collaborateur, c'est de m'ouvrir le crâne pour lui. Non, pas littéralement, mais littérairement. Je fais un dossier d'univers. 

Celui des Enfants d'Evernight faisait un peu plus de 70 pages, et celui que je suis en train de rédiger en ce moment menace d'être à peu près aussi gros. Quand on invente un monde entier, son peuple, ses coutumes, son commerce, ses inimités... c'est difficile de faire moins que ça. Ce que je mets dans ce dossier? Tout.

Laissez-moi partager avec vous le sommaire du dossier d'Evernight...


Page 1


Page 2


Page 3
Je pense que ces trois images parlent pour elles-mêmes. 

Et non, ce n'est pas de la pignolle d'auteur. Si vous saviez le nombre de fois où je suis moi-même retourné dans cette bible pour répondre à une question pointue de Marc! Les décors d'une ville, les vêtements d'un peuple, leur façon de se déplacer... tout était noté là-dedans. Je n'avais plus besoin de tout décrire, nous étions d'accord sur le contenu de cette bible, et  le cas échéant, il pouvait s'y reporter pour des points de détails concernant des lieux, des coutumes, des animaux... sur des séries prévues pour être longues (et nous avions à la base prévu un manga trèèèèèèèèèèèèèèès long) c'est essentiel pour la cohérence et ça évite les échanges sur des points de détails, ce qui procure alors un gain de temps pas négligeable. Mais quel que soit le temps que je passe à rédiger cet annuaire, l'éditeur ne le lit pas. Le lecteur non plus. C'est un outil de travail pour le dessinateur et moi. Ni plus, ni moins.  

  • Le synopsis complet du premier volume, et le synopsis succinct de la série - scénariste
Cette chose là est peut-être plus facile à appréhender pour tout le monde et en plus, elle va être réutilisée pour l'éditeur. Un synopsis est un résumé de mon histoire, pour tout le volume 1, avec les péripéties et la fin. Eh oui, avec la fin. Le dessinateur n'est pas un lecteur époustouflé par vos cliffhangers et vos retournements de situation: c'est un partenaire. Il a besoin de savoir où il va pour dessiner des trucs qui collent avec la suite. 

Concernant le synopsis de la série, c'est plus succinct: en gros, dans le tome 2 il se passe ça, dans le trois ceci... je ne détaille jamais, parce que je n'aime pas m'enfermer et, comme tout bon auteur jardinier qui se respecte, j'aime changer d'avis. C'est juste pour que le dessinateur ne soit pas dans le flou artistique et ne se rende pas compte au troisième volume qu'en fait il est en train de dessiner une uchronie fantastique là où il pensait avoir affaire à de la fantasy matinée de steam-punk. C'est con, mais ça aide à placer une ambiance quand on sait ce qu'on fait.

  • Les personnages - description, histoire, évolution - scénariste
Je détaille toujours énormément mes personnages, jusqu'à ce que je les sente réel. Je ne me contente jamais d'une bête description physique: je connais leur date de naissance, leur histoire, leur dessert préféré, leurs défauts, ce qui leur fait peur, ce qu'ils aiment secrètement... ça permet de les rendre entier, et si 90% de ce que j'écris dans leur descriptif ne sert à rien du point de vue de l'histoire, cela permet à mon sens, d'avoir affaire à des personnages "réels" et pas ni caricaturaux, ni artificiels. Mais c'est mon avis.

  • Chara design/concept art - dessinateur
Quand j'ai fini les écrits précédents, je les envoie au dessinateur qui fait alors des chara design et des concepts art pour prendre la température de la série et lui donner une ambiance et un cachet sur lequel on tombe d'accord. Cette étape peut prendre plus ou moins longtemps. C'est également là qu'on peut se rendre compte que, bien qu'on ait très envie tous les deux de bosser ensemble... ben ça va pas le faire. Parfois, le chara design ne colle pas à ce qu'on avait en tête. C'est pas grave, c'est la vie. Il faut dans ces cas-là chercher un meilleur mariage: forcer les relations se ressentira dans le travail.

  • Scénario (début) - scénariste
Quand finalement on est tombé d'accord, je fais le scénario. Pas en entier, hein. Juste une dizaine de planche, pour le dossier éditeur. On commence à bosser rentable, à ce stade. Et puis le scénario complet, mon éditeur s'en cogne: il n'a aucune envie de le lire, ce qui l'intéresse, ce sont les planches.

  • Storyboard - dessinateur
Le dessinateur storyboard les planches que j'ai scénarisées, et on en discute, on se met d'accord, on peaufine. Quand c'est fait, je passe à la rédaction du dossier d'éditeur proprement dit pendant que le dessinateur affine ses planches, les encres, et en colorise au moins une. 


Voilà.

L'éditeur ne verra PAS tout ça. Il s'en fout. Le lecteur aussi, lui qui ne verra que le produit fini. Mais passons au dossier... qu'est-ce qu'on envoie à l'éditeur, du coup? 



Oui oui, le plus gros est dessous, toujours. 




Le dossier de présentation que nous envoyons - ce que VOIT l'éditeur. 

Encore une fois, je précise, c'est c'est que je fais moi. Partez du principe qu'il y a plein d'autres façons de faire. C'est sans aucun doute le cas. 

  • Présentation
Bonjour, présentation des collaborateurs, présentation très courte du projet, dans quelle collection il s'inscrit (le cas échéant), bibliographie (optionnelle), moyens de contacts, cordialement, salut. 

Des questions?

  • Pitch
"C'est l'histoire d'un orphelin qui quitte son monde d'origine pour suivre une formation de chevalier et détruire un empire". 


Quoi? Oui, d'accord, pensez à préciser le genre de votre bébé. 
La BD, pas le héros. 


  • Note d'intention
Je ne sais pas si on appelle vraiment ça comme ça, mais tant pis. Qu'est-ce qu'on compte raconter, de quelle manière, sous quel format, pour quel public. Quelles sont les inspirations, les univers proches, le visuel choisi, le sous-texte, les trucs qu'on aimerait faire passer, le cahier des charge graphique. En quoi c'est novateur, génial, vendeur, intéressant, drôle, etc... 

Une page suffit, n'en faites pas des caisses.

  • Synopsis du tome 1
Le même que pour le dessinateur, en moins détaillé et plus impersonnel. Contentez vous des scènes successives, ne rajoutez pas les états d'âmes de votre princesse en exil. Généralement, le synopsis pour le dessinateur me prend trois pages, et celui-ci, une maximum.

  • Personnages + Chara design
Là aussi, faite succinct : une maigre description du personnage et de son état d'esprit accompagnée du chara design sur lequel vous êtes tombé d'accord, pour illustrer. C'est la première marche de la collaboration que vous comptez présenter, et ça sert de transition à la suivante. 



Voici par exemple la première fiche perso de Coline, personnage du Soufflevent. 

On notera que le côté calme de l'héroïne est passé à la trappe quelque part pendant l'écriture du scénario... et que, sur les 3 illustrations, son physique a évolué au cours du temps. 

  • Planches
Quatre-cinq, toujours successives, dialoguées, et cleanées. Avec au moins une en colo, c'est le top. Généralement, on prend le début de l'album. On peut ne pas le faire, pour préférer une scène plus active, mais attention, c'est un piège. Comme dans l'édition de roman, les éditeurs aiment voir comment ça commence. Ils savent qu'un lecteur qui achète est un lecteur qui a commencé par le début, même s'il a feuilleté le reste. Il lit les premières pages, pas au milieu.

  • Concepts
Une fois l'éditeur harponné par la grande qualité de vos planches, balancez des concepts pour qu'il ait l'eau à la bouche. Une illustration chiadée, des décors, une scène d'action... quelques petits trucs pour montrer ce que ça va donner, en vrai.

  • Conclusion
Bilan de la bestiole et projection sur l'avenir (nombre de tomes, rythme de parution si vous en avez une idée) Salutations d'usage, on reprécise les coordonnées au cas où, et hop, dans la boîte. 



L'éditeur ravi à la réception de votre dossier
Suggestion de présentation


Voilà en gros comment ça se passe, dans mon cas. Encore une fois, je ne prétends pas donner des leçons à qui que ce soit. 

Une chose est sûre, par contre: quel que soit votre projet, pour que votre client déguste au mieux votre plat, il n'a pas besoin de voir ce qui se passe en cuisine, et encore moins de voir comment vous avez tué la vache qu'il a dans son assiette. Ne lui envoyez rien d'indigeste, de difficile à lire, de barbant comme la mort, de long comme un jour sans le net, mais que du plaisant, du beau, du qui pétille. Il faut que ça soit simple d'accès. 

Parce que même si ce que vous avez fait est génial, si c'est imbitable, dites vous bien qu'il préférera un truc aussi génial ET en plus accessible. 

Vous prétendez bosser pour un média de communication. Votre dossier est la première preuve que vous pouvez attirer l’œil et l'attention. Ne l'oubliez pas, et ne méprisez pas vos lecteurs en vous disant que "s'il ne lit pas, c'est un naze". C'est peut-être juste que c'est pas présenté comme ça aurait pu l'être, alors faites de votre mieux, et surtout, prenez votre temps et croyez en vous.  


A bientôt

Andoryss